Texte publié à l’occasion de l’atelier Open d’État #2 organisé par la DITP au Lieu de la transformation publique le 17 juin 2021. Les propos ici tenus ne sauraient engager d’autre personne ou quelconque institution.
Dans un récent article, Anne Applebaum et Peter Pomerantsev revenaient sur la découverte de la démocratie américaine par Tocqueville. Ce qui a marqué Tocqueville en Amérique c’est oui l’articulation des pouvoirs, l’ordonnancement institutionnel, mais aussi la place des associations d’individus qui, réunis en communauté, agissaient ensemble pour organiser leur vie en société. La démocratie américaine n’était pas qu’une démocratie par le dire, mais aussi une démocratie par le faire. Une démocratie de l’action.
Une redécouverte de cette démocratie par l’action est en train de se faire actuellement en un certain nombre de lieux au sein de l’État et dans la société plus largement. L’influence de la culture internet qui s’infuse en nous n’y est probablement pas étrangère. Nous ne supportons plus d’être seulement en posture d’écoute, d’attente, de délégation. Nous avons une terrible envie de faire. Alors, comment passer de l’envie à l’action ? Et quel est le rôle de l’État dans ce cadre ?
Donner le « permis de faire ». Cette expression nous vient de Patrick Bouchain, urbaniste, et du titre de sa leçon inaugurale de l’École de Chaillot de 2017. Dans la fonction publique, elle a récemment été portée par Sébastien Soriano. Qu’est-ce que le permis de faire ? Comment se décline-t-il ? On pourra évoquer quatre pistes parmi de nombreuses autres.
Permettre de déroger à des règles. C’est l’exemple cité par Patrick Bouchain en matière d’urbanisme et que l’on retrouve à l’article 88 de la loi de 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. C’est une approche qui nous renvoie aux questions anciennes du fair use en matière de droit d’auteur et à notre droit à bidouiller nos téléphones. C’est ce que l’on appelle en langage technocratique les bacs à sable réglementaires. C’est ce qui a été fait à l’Arcep il y a une demi-douzaine d’années et dans d’autres secteurs régulés. L’État s’assure que l’acteur privé respecte le socle de principes fondamentaux de l’action publique, respecte le droit des autres, et permet, sous son contrôle, de s’écarter de certaines contraintes imposées par la réglementation existante. Nous pouvons explorer d’autres chemins, peut-être être plus pertinents pour la collectivité, que ceux qui ont été tracés en droit à un moment donné de notre histoire.
Donner le temps de faire. On sait combien l’engagement associatif est exigeant. Il n’offre pas le confort de la fonction publique. Il n’offre pas les perspectives d’enrichissement matériel de l’entrepreneuriat. Et pourtant la sphère associative est une richesse incontestée pour la collectivité. Nous devons valoriser l’engagement citoyen. En plus des pistes avancées de service public citoyen, cela peut vouloir dire nous donner du temps, une journée par semaine par exemple, pour nous engager dans des projets civiques. Cette démarche s’inscrirait dans la poursuite des réserves citoyennes et des pistes esquissées en vue du renouveau de la formation de la haute fonction publique. Plus encore, la reconnaissance de cet engagement associatif pourrait être pensée tout au long de nos vies professionnelles, dans le public comme dans le privé.
Penser l’erreur. Accordons le droit de se tromper à ces personnes qui innovent pour le bien collectif. On se plante. Perpétuellement. Et c’est en fait un apprentissage. Partager nos erreurs, nos difficultés, c’est aussi nous renforcer. C’est aussi dire à ceux qui veulent se lancer, mais qui ont peur d’échouer : ne t’inquiète pas, on ne t’en voudra pas. On va construire sur la base de nos erreurs collectives. Ce qui exige que les personnes qui ont l’envie d’innover puissent se tourner vers d’autres personnes pour construire avec elles. On rejoint là des conseils donnés en matière d’organisation entrepreneuriale : échanger le plus possible pour confronter les biais et diminuer le risque d’erreur.
Disposer de lieux. D’où l’intérêt enfin de nous penser au sein de la fonction publique comme un réseau social réel et non virtuel et d’avoir ces interfaces physiques de mises en relation. Nous avons besoin de lieux, comme celui où nous sommes réunis, où l’on peut partager nos idées et ambitions et solliciter les autres pour échanger sur nos projets.
Alors que nous avons tous été confrontés aux bénéfices et avantages du travail à distance, nous pourrions penser que les institutions publiques, y compris locales, aient des espaces où agents publics et personnes extérieures puissent travailler. Cela permettrait de partager informellement les idées et initiatives des uns et des autres touchant à la collectivité. Pour favoriser les interactions et les rendre conclusives, pourraient être présentes dans ces lieux partagés des personnes agissant en entremetteurs et en accompagnateurs des projets conduits au sein de l’État, mais aussi des projets qui ont besoin de l’État comme partenaire.
Les pistes esquissées ci-dessus pourraient constituer les prémices d’un cadre instituant une démocratie de l’action. Elles pourraient alors commencer à traduire cet esprit qu’il nous faut insuffler : l’action publique ne doit plus seulement être considérée comme relevant de l’État, mais bien de la société dans son entier. Sachant que ce nouveau versant de la démocratie ne se construira pas en un jour. Il nous faut le proposer, le penser, le débattre et le construire collectivement. Nous pourrons alors espérer que dans un entrelacs fertile, la pérennité et la légitimité des formes de démocraties délibérative et active se nourrissent l’une l’autre.
Jean Cattan, Secrétaire général du Conseil national du numérique
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